Petite couronne

Le train longeait un lac immense. C’était une journée d’été, chaude et dégagée. Les rayons solaires scintillaient sur l’eau avant de se noyer dans les profondeurs bleutées. À la frontière ouest, estompée par l’azur intense, une masse sombre indiquait la présence de reliefs qui semblaient rabougris, inoffensifs. Une quiétude ineffable régnait.  

Le jeune homme songea : « Enfin, je respire !  Ces deux semaines de vacances à la campagne étaient… si intenses… si bruyantes ! » Sans pouvoir se l’expliquer, il s’était senti à l’étroit : « mes batteries sont à plat ! ». Les souvenirs de son séjour défilaient encore à tout allure dans son esprit : ce manoir encerclé par une lugubre forêt que surplombait une vertigineuse et terne falaise ; ces bruits incessants : « lorsque ce n’était pas une perceuse, c’était la tondeuse ou la scie qui s’y mettaient… » ; sans compter les quotidiennes querelles… : « Tonton et Tata qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord entre la cueillette et le jardinage !  Et Marie qui voulait qu’on aille tous se rafraîchir à la plage… alors que pour Pierre, il n’y a que la randonnée qui comptait !  Sacrés cousins, va ! » soupira-t-il avant de s’assoupir.

Alors que le train s’arrêtait en douceur, l’adolescent s’éveilla. Des immeubles d’une hauteur modérée se succédaient à travers la vitre du TGV. Un méli-mélo d’époques chatoyait malicieusement à la lueur du soleil couchant. A rayonnait. Son père l’attendait sur le quai. Ils s’embrassèrent sobrement avant de prendre la route. Son père lui demanda :

– Alors, ces vacances ? C’était bien ?

– Très bien, très bien… J’ai bien pris l’air… Ça fait du bien.

– Tout le monde va bien à Aix-les- Bains ?

– Tous en pleine forme et bien occupés ! Ils sont très contents, ils ne s’ennuient jamais ! rigola l’adolescent. 

Sans parler plus, le père emprunta les artères qui les déportaient petit à petit vers l’extérieur.  Soudain, son fils reconnut l’horrible carrefour qui matérialisait la frontière. Ils se faufilèrent dans cet amas d’automobiles coincées sous un pont pour rejoindre, à quelques encablures, une petite rue tranquille. Un immeuble flambant neuf dominait les paisibles maisonnettes.  Ils étaient arrivés.

En pénétrant dans le modeste deux-pièces familial, une délicieuse odeur réveilla ses papilles : « Mon plat préféré ! » jubila-t-il. Il regarda avec appétit les trois assiettes disposées sur de petit tabourets, s’installa sur le canapé et savoura l’exquise préparation. Son père, jusque-là si peu loquace, l’air mélancolique, finit par lui dire :

–   Ce n’est pas comme chez tonton ici… On est serrés… Ça doit te faire bizarre …

 –  Et alors ? Je m’en fous complètement ! Ce poulet au curry vert est tellement bon ! C’est ça qui compte, pour moi ! répondit l’adolescent, porté par son enthousiasme.

–  Ah bon ? Pourtant, ici, pas de légumes du jardin, ni de fruit du verger… Ça devait être vraiment bon tout ça, non ?

–  Oui, oui, c’était souvent pas mal du tout… C’était même bien bon parfois …

La conversation s’arrêta là. Le jeune garçon promena son regard dans le petit appartement parental. Près de la porte d’entrée, entassées dans un sac de toile, il aperçut les victuailles fraichement arrivées du supermarché : les fruits et légumes, emballés dans de petits sacs en plastique, côtoyaient les barquettes de viandes prédécoupées. Juste à côté, une minuscule cuisine était aménagée dans le coin de la pièce.  « Quand je pense que Maman fait des miracles avec si peu… », songea-t-il avec tendresse.

 Une fois le repas terminé, l’adolescent se leva et se dirigea vers le balcon. Appuyé contre la rambarde, il contempla longtemps le terrain vague en contrebas : « Autant en profiter, tant que ce n’est pas encore construit … » pensa-t-il en regardant avec tendresse ce fragile petit bout de nature hirsute. Au loin, des barres de HLM formaient un horizon irrégulier.  Son imagination lui parut alors sans limite et lui offrit des possibilités infinies. Soudain, il cria : « Ici, je peux voyager où je veux ! … ». Et devant l’air incrédule de ses parents, il conclut : « Merci, merci du fond du cœur. »

Taï Thot